Histoire sommaire du Parti socialiste fribourgeois (PSF)
Modestes débuts dans un contexte hostile
Au début du siècle, le PSF se concentre dans quelques communes où l’industrie est présente : Fribourg, Villars-sur-Glâne, Bulle, La Tour-de-Trême, Broc, Morat, Estavayer, Romont. Il n’a pas de député, pas de parlementaire fédéral. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, le PS représente moins d’un électeur sur douze.
En ville de Fribourg, le PS est représenté au Conseil communal dès 1907 avec deux et même trois sièges sur neuf les grandes années (1946, 1966, 1978 – meilleur résultat – 1982). Après la réduction de l’effectif de l’exécutif de la capitale à cinq membres tous permanents, il parvient à faire réélire ses deux conseillers en 2001.
« Le parti du désordre »
Au début, on déplore une organisation faible, l’indiscipline, des journaux paraissant irrégulièrement (voir Alain Meyer) [1], le manque de fortes personnalités. Le climat ambiant est difficile : les socialistes passent comme adversaires de la religion catholique, sont opposés à l’armée jusqu’en 1935, sont considérés comme des communistes déguisés. Les socialistes sont victimes de représailles sur le plan professionnel. Le conseiller d’Etat Ernest Perrier qualifie le PS de « parti du désordre » qu’il faut empêcher d’entrer au Grand Conseil en appliquant quorum très élevé de 15 %.
De Colliard à Mauroux
Lors des élections au Conseil national, le PS pèse moins de 10 % de 1919 jusqu’à la guerre (en gros : conservateurs 70 %, 20-25 % pour les radicaux, de 7 à 8,6 % pour le PS). Les agraires apparaissent en 1939 avec l’élection de Robert Colliard au Conseil national en remplacement de l’ex-conseiller fédéral Jean-Marie Musy, battu. Cette année-là, il n’y avait pas de liste socialiste.
Le premier siège fribourgeois au Conseil national est conquis en 1943 lors d’une forte poussée socialiste (+ 11 sièges dans l’ensemble de la Suisse) avec René Mauroux qui laisse la place à Charles Strebel au printemps 1951. Ce dernier siège pendant seize ans et demi. Jean Riesen le supplante en 1967 et conserve ce siège jusqu’à sa mort en 1987.
13 socialistes gravissent l’escalier de l’Hôtel de Ville
Dans la lignée du succès de 1943, les urnes enregistrent une poussée en 1946 avec treize députés au Grand Conseil dont le journaliste Robert Burgel et Jean Piller. Au Conseil d’Etat, il y a deux listes radicales : Richard Corboz est sur la même liste que les conservateurs alors que Pierre Glasson est sur une liste radicale-indépendante. Toutes les forces quelque peu éclairées se liguent contre le conservateur Joseph Piller qui est battu. On dit même que l’évêque Charrière a provoqué l’échec de Piller et l’élection de Glasson (selon Jean Steinauer dans un article de La Gruyère).
Pas de communistes à Fribourg
Une tentative de création d’une section du Parti du travail échoue malgré des visites à Fribourg des conseillers nationaux Nicole, Muret et Houriet. Le président de la section socialiste de Fribourg-Ville, Raymond Kolly, parvient à s’opposer à l’implantation du PdT. L’ancien conseiller national Laurent Ruffieux (siège en 1943, Défense du travail et de l’agriculture). Il n’a pas plus de succès lorsqu’il tente de déposer une liste en 1951 pour le Conseil national qui aurait été apparentée à celle du PS, ce que Mauroux refuse.
L’inique quorum disparaît
Les scores sont en recul par rapport à 1946 pour le Grand Conseil en 1951, 1956 et 1961. Ces années-là, on voit apparaître les premières candidatures socialistes au Gouvernement cantonal (Mauroux, Strebel, Sieber, Currat) avec un résultat limité (entre 10 et 17 %). Le quorum de 15 % est jugé arbitraire par le TF (deux siéges obtenus dans le Lac avec 12.4 % des suffrages après recours de l’avocat Pierre Nordmann). En Singine, les vingt sièges reviennent aux CCS qui obtiennent alors (1961) 93,4 % des voix contre 6,6 % au PS ! La véritable élection se fait lors de l’assemblée conservatrice qui élabore la liste de candidats car l’élection proprement dite est une formalité.
Renouveau au parti
Dans les années soixante, on assiste à l’adhésion d’intellectuels (D. Clerc, F. Nordmann, G. Ayer, etc.) et à l’arrivée de Jean Riesen, secrétaire central du PSS très dynamique, qui prend le pouvoir au détriment d’une vieille garde peu innovatrice.
Une dernière alliance avec les radicaux
Un apparentement tactique PS-PRD-PAI est conclu en 1963 pour que la perte du 7e siège fribourgeois au Conseil national soit imputée aux conservateurs-chrétiens sociaux. (CCS). Sont élus : trois conservateurs (-1), deux radicaux, un socialiste. D’autres alliances de ce type avaient été conclues jusqu’en 1961 avec des listes communes avec radicaux et PAI (Louis Lanthemann fut candidat au Grand Conseil sur une telle liste).
1966, année charnière
Coup de tonnerre, malgré l’appui PAI, les CCS ne parviennent pas à conserver le siège laissé vacant par la démission de Paul Torche au printemps. Jean Riesen se porte candidat et obtient 24 % des voix. Les voix socialistes se reportent sur Paul Genoud qui est élu contre Me Jacques Morard (259 voix de différence au second tour !).
Le phénomène se poursuit aux communales avec la défaite CCS en ville qui perd la majorité absolue. Le soutien socialiste permet au libéral-radical Lucien Nussbaumer d’enlever la syndicature de Fribourg.
La dissidence chrétienne sociale s’affirme (les ICS jouaient les utilités dans le parti CCS sans avoir d’élus, on ne tenait pas compte de leurs idées et de leurs avis).
Fin d’une majorité centenaire
En novembre 1966, on enregistre de gros gains socialistes au Grand Conseil (de 12 à 21) ainsi que l’affirmation du Parti indépendant chrétien social (PICS) avec huit députés dans les districts romands (la dissidence alémanique viendra plus tard en 1981). Les CCS n’ont plus la majorité absolue au Grand Conseil (56 sièges, -18) mais la conservent au Conseil d’Etat avec quatre sièges plus celui de l’allié PAI, conquis dès le premier tour.
Au Conseil d’Etat, on retrouve en novembre le même scénario que lors de la partielle : Riesen (45 %) n’est pas élu mais les radicaux Genoud et Zehnder le sont avec les voix socialistes. Les radicaux ont donné juste assez de coups de crayon pour éviter Riesen et favoriser les leurs.
Le PS roule pour lui
Ensuite, le PS s’émancipe de la tutelle radicale qui a été la seule force d’opposition aux conservateurs depuis sa perte de pouvoir en 1857. Il n’y a plus de « mélange » entre patrons radicaux et ouvriers socialistes. En 1970 et 1972, les socialistes soutiennent les efforts radicaux de démocratisation (initiatives pour l’élection des conseillers aux Etats et des préfets par le peuple et pour l’introduction du référendum financier obligatoire).
Historique : deux conseillers d’Etat « du peuple »
1971 : les électeurs apportent un nouveau gros succès au PS avec des gains importants au Grand Conseil (de 21 à 29) et l’éviction des deux radicaux par les deux socialistes, Riesen et Clerc, au Conseil d’Etat.
Deux journaux dérangeants
Le journal TRAVAIL est alors un moyen d’influence. C’est un hebdomadaire puis un bi-hebdomadaire craint. Les scandales y sont dénoncés (comme celui des autoroutes par Riesen président du groupe au GC). Il y paraît des articles sur les conditions de travail dans les entreprises. De belles plumes s’illustrent surtout Denis Clerc et François Nordmann, secrétaire particulier de Pierre Graber et futur conseiller communal et ambassadeur. Jean Riesen, qui n’a pas froid aux yeux, sait ferrailler. Ses interventions au Grand Conseil et au Conseil national sont bien mises en évidence dans le journal du PSF. Les Alémaniques publient ZEITLUPE qui se livre à d’intéressantes investigations.
Les femmes votent enfin
Les élections au Conseil national de 1971 sont les premières avec participation des électrices. La première candidate PS à une telle élection, Ariane Vollery, médecin à Estavayer arrive juste derrière Jean Riesen.
« Fribourg bouge »
Les causes de ces progrès sont sans doute à chercher dans les mutations de la société avec l’industrialisation et le secteur tertiaire en progression, la moindre emprise de l’église, le concile Vatican II synonyme d’ouverture, le rôle de la presse (pénétration de la TV et d’autres journaux dans le canton, l’orientation nouvelle de La Liberté sous François Gross, et plus tard des FN mais dans une moindre mesure), la fin de la dépopulation, conséquence de la croissance économique et l’arrivée de nouveaux habitants. Le développement de l’esprit critique à l’école peut avoir joué un rôle (mai 1968). Le savoir-faire et le talent des principaux dirigeants doit être mentionné : Riesen, Ayer, Clerc auxquels s’ajoute Félicien Morel dès 1970 (élu au Conseil communal de Belfaux puis au Grand Conseil).
Tinguely bloque la machine
1974 : un comité « poujadiste » dit du 26 mai fait tomber trois projets acceptés par le Grand Conseil: la loi sur les fusions de communes (il y en avait 285 en 1850, 276 à l’époque de la votation, 164 en 2012), la loi sur les véhicules à moteur, l’agrandissement de l’Université de Fribourg qui s’est quand même fait. Un mauvais climat s’installe qui n’est pas favorable aux idées progressistes et fait tache d’huile dans les milieux radicaux et PDC.
Le canton de Fribourg se voit désavoué par le Tribunal fédéral dans plusieurs affaires ce qui porte atteinte au crédit des autorités et de la majorité.
Un homme fort à Berne
1975 : des gains sont enregistrés lors de l’élection au Conseil national. Le PS devient le deuxième du canton avec deux élus : Félicien Morel passe devant Jean Riesen, qui est tout de même réélu. Aux Etats, les socialistes applaudissent au succès d’estime remporté par Otto Piller qui dépasse les radicaux mais n’ébranle pas encore le monopole conservateur. La LMR fait un score microscopique (candidature de Claude Ayer, fils de Gérald, qui recueille 605 suffrages). Les progrès de la gauche ont pour effet de braquer le centre et la droite qui cherchent à prendre leur revanche l’année suivante.
Une campagne chaotique tourne au désastre
1976[2] Au terme d’une dure campagne, seul Rémi Brodard (PDC) est élu au premier tour. Riesen apparaît largement battu dès le premier tour et refuse de se retirer. Clerc est battu d’extrême justesse par Hans Baechler (PRD) pour 235 voix au second tour. Les radicaux, éliminés en 1971, mettent de gros moyens en œuvre pour récupérer les positions perdues. Ils réclament un gouvernement fort, uni et cohérent (sans socialistes). Denis Clerc est en butte aux attaques de la Société de médecine. Ayer avait cherché à remplacer Riesen par Morel qui avait décliné une candidature lors d’un congrès agité à Romont. Des erreurs sont commises lors de la campagne du côté PS (attaques contre le préfet Robert Menoud (PDC, Gruyère) et le futur conseiller d’Etat PRD Ferdinand Masset). Dans un contexte de récession débutante, tout irait mal à cause des socialistes à en croire la propagande radicale ! Pierre Dreyer, homme fort du PDC au Conseil d’Etat, penche nettement pour le soutien aux radicaux.
Question stratégique : était-il juste de considérer le PRD comme l’adversaire principal (ce fut toujours l’avis des Lacois issu d’un district à dominance radicale) et non le PDC ? Un comité hors parti, proche des radicaux, appelle à voter pour six candidats au second tour (tous bourgeois).
Le PS, premier parti de la Ville pour quatre ans
Le retour de balancier ne tarde pas et en 1978, le PS devient la première formation de la ville de Fribourg avec 28 sièges au Conseil général et trois conseillers communaux. Le vice-syndic Friedly arrive en tête de tous les candidats, accompagné de François Nordmann et de Marcel Clerc. L’affaire de la déclaration fiscale de J.-F. Bourgknecht, soulevée par F. Morel et la coïncidence avec une votation sur la 9e révision de l’AVS amplifie le succès socialiste. Bourgknecht perdra par la suite ses mandats de conseiller aux Etats, de député et de conseiller communal PDC.
Morel quitte la présidence du PSF en 1978 et est remplacé par Clerc qui occupe une position clé qui lui permet de revenir au Conseil d’Etat avec Morel en 1981.
« Aïe » ! Titre “La Liberté”: le physicien détrône le financier
1979 voit l’élection de Otto Piller au Conseil des Etats. Le PDC a commis l’erreur de mettre en lice Arnold Waeber, directeur des finances, qui ne faisait pas l’unanimité. Au second tour Dreyer est élu en tête devant Piller, Singinois comme Waeber qui arrive en troisième position avec 1500 voix de moins. Cette élection a un retentissement considérable dans toute la Suisse. Au Conseil national, en l’absence de liste PCS ou verte, le PS obtient son meilleur résultat, inégalé à ce jour, soit 30,7 % des suffrages.
La proportionnelle de fait s’impose
Le PS lance une initiative pour l’élection à la proportionnelle du Conseil d’Etat. Le Grand Conseil élabore un contre-projet (un parti qui n’a pas la majorité au Parlement ne peut l’avoir au gouvernement). Ce texte est mis au point par Anton Cottier, président du groupe PDC au Grand Conseil et accepté par Gérald Ayer, son homologue socialiste, mais il n’est pas agréé par le PS, Denis Clerc en tête. L’initiative est maintenue. Tant celle-ci que le contre-projet sont rejetés en janvier 1981, chaque texte recueillant environ 40 % de oui.
Le climat est préparé pour une élection à la proportionnelle de fait (3 C-2 R-2 S) en 1981 au détriment de Joseph Cottet (PAI) que le PDC ne met plus sur la liste. Le parti dominant accepte de limiter ses appétits à trois sièges (discours de Martin Nicoulin, président du PDC). C’est « l’esprit de Tavel ». Le PS décroche 33 sièges au Parlement cantonal avec 25,3 % des suffrages soit le meilleur résultat jusqu’ici (1981 est aussi l’année de l’élection de Mitterrand à la présidence de la République, le socialisme est à la mode).
Morel et Clerc font un beau score dès le premier tour. Le Moratois Paul Werthmüller est distancé et ne participe pas au second tour. C’est l’histoire du lion (Morel), du tigre (Clerc) et de l’agneau (Werthmüller). D’un côté, nous voulions une liste forte, de l’autre nous courrions le risque de mettre le lion et le tigre dans la même cage.
A noter que le PDC a toujours su habilement trouver un partenaire pour lui fournir l’appoint pour atteindre la majorité : ce fut le cas en 1976 notamment avec le PAI puis en 1996 et 2001 avec les radicaux, cette dernière alliance n’étant pas du goût de nombreux PDC tant pour des questions de rivalité historique que de programmes (alliance des calotins et des diablotins).
« Hara-Kiri » fribourgeois pour le Conseil fédéral
En 1987, à la démission de Pierre Aubert du Conseil fédéral, le nom de Morel est avancé pour le remplacer. Le Comité directeur présente les noms de Denis Clerc et de Otto Piller. Piller se retire en s’excusant même de vouloir occuper un siège romand. Clerc s’était préalablement retiré car sa candidature ne rencontra qu’un faible écho hors du canton. Morel est désigné comme candidat au terme d’un congrès houleux où il n’obtient qu’une majorité de neuf voix (74 : 65). Sur ce, il renonce à une candidature estimant cet appui insuffisant. René Felber (NE) et Christian Grobet (GE) s’affronteront et c’est finalement Felber qui l’emportera devant le groupe et l’Assemblée fédérale.
Dissensions, dissonances et dissidences
Morel qui se présente en « social-démocrate et fier de l’être », souhaite une clarification qui a lieu le 19 novembre 1988 à Alterswil. Après un long plaidoyer, une motion d’ordre de Camille Bavaud interrompt ses propos. Il rentre chez lui, démissionne et fonde le PSD avec Raphaël Chollet, président du PSF, et Jean-Bernard Repond, notamment. Quant à Denis Clerc, il quitte le parti à l’occasion d’un débat sur le traitement des conseillers d’Etat. Il participe à une séance de groupe qui décide de s’opposer à la revalorisation de ceux-ci. Ces conflits traduisent un certain manque de culture politique de députés et de membres du Comité directeur mais aussi le caractère très entier des chefs de file peu enclins aux compromis et qui en appartenant à la même autorité étaient en situation de rivalité.
Un gouvernement de centre gauche
En 1991, Morel se porte candidat au Conseil des Etats où il échoue d’extrême justesse (800 voix) contre Piller puis au Conseil d’Etat où il est réélu comme PSD. Sa présence donne une coloration centre-gauche dans un gouvernement où sont élus Ruth Lüthi et Pierre Aeby avec trois PDC et un PAI-UDC (Raphaël Rimaz qui y siégeait depuis 1986 après avoir battu le candidat radical Gérard Ducarroz). Ce gouvernement préconise notamment la révision totale de la Constitution dont ne voulait pas le précédent.
Contrairement aux prévisions, le PS parvient donc à conserver ses deux sièges au Gouvernement cantonal. Les radicaux échouent à remplacer Hans Baechler par Pierre Zappelli. La chute de Roselyne Crausaz (PDC) qui avait évincé Rémi Brodard cinq ans plus tôt ouvre une voie royale à Ruth Lüthi dont les chances étaient jugées faibles au départ. On voulait une femme au gouvernement et la personnalité de cette dernière ralliait tous les suffrages.
En 1996, le PS parvient à remplacer Pierre Aeby par Claude Grandjean malgré la candidature de l’indépendant broyard Pascal Corminboeuf, qui en obtenant 16 000 voix au premier tour et 21 000 au second, compliquait le jeu des partis.
L’UDC en force
En 2001, les résultats sont suffisamment clairs dès le premier tour (Corminboeuf étant le seul élu) pour provoquer une élection tacite des six autres membres du gouvernement. Au Grand Conseil, le PS perd six sièges. Certains voient dans ses positions sur les requérants d’asile la cause de ce recul. L’UDC parvient à doubler le nombre de ses élus (de 8 à 16), signe annonciateur d’un prochain succès aux élections fédérales où le septième siège nouvellement attribué au canton de Fribourg ne peut lui échapper. Le vieux PAI de la Veveyse, du Lacm de la Broye et de la Glâne, est remplacé par une nouvelle UDC plus conquérante en phase avec la ligne blochérienne.
Notre première conseillère nationale
Pendant seize ans, le PSF est représenté aux Chambres fédérales par un parlementaire dans chaque conseil. Depuis le retrait forcé de Morel en 1983 (opposition au cumul des mandats), le PS n’a plus qu’un siège au Conseil national qu’occupent successivement trois habitants de la Singine, Jean Riesen, Cyrill Brügger et Erwin Jutzet. En 1995, Aeby parvient à conserver le siège de Piller au Conseil des Etats. En 1999, il le perd contre le préfet radical Jean-Claude Cornu qui dépasse de justesse la majorité absolue. Cette année-là, le PS retrouve avec Liliane Chappuis son second siège au Conseil national. L’apport des voix de la liste conduite par Louis Duc apparaît déterminant pour l’élection de la première femme socialiste fribourgeoise au Parlement fédéral.
Alain Berset arrive…
En 2003, les voix de Duc et des Verts permettent à nouveau de conserver le second siège au Conseil national qui échoit à Christian Levrat, un syndicaliste remuant, élu aux côtés de l’avocat Erwin Jutzet. Aux Etats, la dispersion des voix est suffisante au premier tour pour empêcher une réélection de Cornu alors que Urs Schwaller s’impose d’emblée. Les rapports tendus entre le PRD et le PDC au niveau fédéral mettent à mal l’alliance des deux partis sur le plan cantonal qui échoue à faire réélire Cornu, lourdement battu par Alain Berset au second tour. Ce succès apporte au PS un troisième siège à Berne.
Au Conseil national, le fait le plus significatif est pourtant la forte poussée de l’UDC qui obtient quasiment le même nombre de suffrages que le PS. On retrouve à Fribourg le même phénomène qu’au plan national. Le PDC perd près de 10 points passant de 33,6 % à 25,4 % des suffrages. Alors que les positions PDC n’avaient été que grignotées au cours des élections précédentes, ce résultat traduit un transfert de voix massif au bénéfice de l’UDC qui s’impose nettement comme le premier parti suisse.
Enfin des syndics socialistes
Aux élections communales de 2006, le PSF obtient le plus grand nombre de conseillers généraux (145 sur 550 contre 141 au PDC). A Fribourg et Villars-sur-Glâne des majorités de gauche sont élues au Conseil communal. Les syndics sont socialistes pour la première fois. Pour le Conseil d’Etat, les sièges socialistes sont maintenus avec l’élection d’Anne-Claude Demierre et d’Erwin Jutzet qui l’emporte de peu sur Jean-Claude Cornu (PLR).
En 2007, les résultats des élections fédérales permettent la réélection d’Alain Berset, de Christian Levrat et de Jean-François Steiert qui a remplacé Liliane Chappuis, prématurément disparue.
2011 La grande cuvée : un conseiller fédéral et quatre parlementaires
En 2011, le parti socialiste fait un nouveau bond sous la conduite du président David Bonny en avant. Il devient en mars le premier parti de la ville de Bulle qui a fusionné avec La Tour-de-Trême (16 sièges sur 50 au Conseil général). Alain Berset est réélu triomphalement au Conseil des Etats dès le premier tour en octobre. Au Conseil national, Valérie Piller Carrard, d’Estavayer, s’ajoute à Levrat et Steiert réélus. Le PCS perd un siège Le PDC, arrivé en troisième position, sauve son second siège grâce à un apparentement avec le Parti bourgeois démocratique. L’UDC ravit la deuxième place.
Les conseillers d’Etat socialistes sont réélus en décembre. La verte Marie Garnier reprend le siège de Pascal Corminboeuf, non candidat. Le PDC recule mais demeure la plus forte formation du Grand Conseil avec 31 députés contre 29 au PS. L’UDC progresse encore avec 21 députés sans parvenir à faire élire l’un des siens au Conseil d’Etat (échec de Pierre-André Page).
Alain Berset est nettement élu au Conseil fédéral dès le second tour le 14 décembre 2011 devant Pierre-Yves Maillard (PS, VD) et Jean-François Rime (UDC, FR). Il se voit confier le Département de l’Intérieur. Christian Levrat s’impose en mars 2012 comme successeur de Berset au Conseil des Etats dès le premier tour face au conseiller national Jacques Bourgeois (PLR) et deux outsiders. Ce changement de chambre permet l’entrée d’Ursula Schneider-Schüttel, de Morat.
Un premier préfet puis un second
En ce qui concerne les préfectures, celle de la Broye est revenue pendant dix ans aux socialistes avec Pierre Aeby, élu contre le PDC Charles Pilloud en 1981. Après la démission du préfet Nicolas Deiss (PDC), le socialiste Carl-Alex Ridoré s’impose en juin 2008 contre le PDC Hubert Dafflon après le retrait de Denis Boivin (PLR), distancé au premier tour. Les tentatives de Morel et de P.-A. Clément ont échoué en Sarine avec 42 resp.44 % des voix en 1976 et 1996. La candidature de Raoul Girard a bénéficié d’un score flatteur (42 %) contre le divers droite Patrice Borcard en Gruyère en 2011. D’autres candidatures dans les districts se sont soldées par des échecs assez nets mais le PS a été parfois en position d’arbitre lors des seconds tours.
Quelques points forts de l’action socialiste
Le Parti socialiste s’est souvent élevé contre certains crédits routiers considérés trop élevés et qui pouvaient priver l’Etat d’autres ressources dans des domaines jugés essentiels comme l’enseignement ou le social. Il a aussi mis en évidence l’affaire de la police des étrangers (interventions de Louis-Marc Perroud en 1985). Le PSF demande en 2011 la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le dépassement du crédit pour le Pont de la Poya.
L’action du PS se mesure aussi au recours à l’initiative populaire. Plusieurs initiatives sont lancées pour une fiscalité plus juste. Elles donnent parfois lieu à des contre-projets du Grand Conseil allant dans le sens des initiateurs, permettant ainsi leur retrait.
A noter aussi les initiatives sur le plan institutionnel (élection du Conseil d’Etat à la proportionnelle et élection des juges par le peuple) qui ont fait bouger les choses. Dans le domaine de la justice, il a fallu attendre 1977 pour voir l’élection d’un juge cantonal socialiste (Jacques Curty).
Sur proposition du député singinois Erwin Jutzet, l’article constitutionnel sur les langues est modifié en 1990. Son caractère discriminatoire à l’égard de la minorité alémanique disparaît. Le principe de la territorialité des langues est affirmé mais une disposition sur l’encouragement à la compréhension entre les communautés linguistiques reste lettre morte. Cet article est repris dans la nouvelle constitution de 2004 dans une formulation, inspirée par le constituant Ambros Lüthi, qui s’efforce de concilier les principes de territorialité revendiqué par les Romands et de liberté des langues exigé par les Alémaniques. Les divergences sur cette question sensible sont plus fortes au PS que dans les autres formations.
Les députés socialistes de la ville de Fribourg proposent en 1990 d’introduire dans le droit public fribourgeois la notion d’agglomération qui doit permettre le renforcement de la collaboration intercommunale dans un cadre adapté aux réalités contemporaines. Une loi est adoptée et une assemblée constitutive réunissant des représentants de Fribourg, de deux communes alémaniques et de sept communes romandes, élabore des statuts régissant le fonctionnement et les domaines d’activité de l’agglomération (transports, culture, aménagement du territoire, notamment). Ces statuts sont adoptés par 9 communes en juin 2008 mais Guin dit « Nein ».
Conclusions
Malgré les difficultés, le PS s’est imposé comme la deuxième force politique du canton depuis un quart de siècle. Pour les élections fédérales, le PS occupe même le premier rang en 2011. Par moments, Fribourg a été l’un des rares cantons suisses avec un conseiller aux Etats socialiste. Alain Berset est élu à la présidence du Conseil des Etats à 36 ans en 2008. Otto Piller avait déjà exercé cette fonction en 1992-93.
A plusieurs reprises, ses membres ont obtenu des suffrages lors de l’élection au Conseil fédéral : Félicien Morel, qui fut président du groupe parlementaire en 1987, Otto Piller (lors de la succession Stich en 1995), Ruth Lüthi (lors de la succession Dreifuss en 2002) et Alain Berset (élu à la succession de Micheline Calmy-Rey en 2011). Christian Levrat est président du PSS depuis le congrès de Bâle en 2008.
Ses magistrats ont façonné le canton de Fribourg actuel en participant au gouvernement avec deux sièges sur sept depuis 1971 (sous réserve d’une interruption de cinq ans) et dans de nombreuses communes. Le secteur social est en mains socialistes depuis longtemps. L’aménagement du territoire a été pris au sérieux grâce à deux conseillers d’Etat socialistes. Les finances ont été équilibrées et la dette réduite sous direction socialiste.
Le pluralisme a été partiellement introduit dans la justice. L’ « Etat PDC » a été ébranlé mais n’est pas mort, surtout pas dans l’administration.
Le PS n’a plus le monopole de la contestation ou de l’imagination. Il a été concurrencé par d’autres forces (PCS, Verts, qui, il faut le reconnaître, l’ont appuyé loyalement lors de délicats seconds tours).
Le canton de Fribourg n’est pas à l’abri de mauvaises poussées de fièvre comme l’acceptation de l’initiative Schwarzenbach en 1970 ou le triple non du 26 mai 1974. Mais il y a aussi des signes d’ouverture comme l’acceptation de l’EEE en 1992 ou de l’adhésion à l’ONU en 2002 ou encore le vote d’une nouvelle constitution cantonale en 2004 qu’avaient précédé le suffrage féminin en 1971 ou l’abaissement de l’âge de la majorité civique en 1991.
Rien n’est jamais acquis définitivement en politique. Des batailles ont été perdues pour peu de choses en raison d’une trop grande confiance en soi (élections des radicaux Baechler en 1976 et de Cornu en 1999 au détriment de Denis Clerc et de Pierre Aeby). Des querelles personnelles, difficiles à vivre, ont entravé le développement du PSF. Des enjeux mineurs ont parfois accaparé beaucoup d’énergie (référendum contre les traitements des conseillers d’Etat).
Fait réjouissant, les Jeunesses socialistes sont à nouveau actives et des têtes nouvelles sont apparues tant dans les exécutifs et législatifs communaux qu’au Grand Conseil.
Il est nécessaire de lancer des idées nouvelles (force d’innovation du PS), d’exploiter les fautes de l’adversaire, de ne pas craindre de dire la vérité, de préparer la relève et de tirer les enseignements de l’histoire.
Pendant un siècle, le PSF est demeuré fidèle aux valeurs du socialisme : justice, solidarité, primauté des droits de l’homme, défense des faibles, chances égales pour tous et ceci sans perdre de vue le développement économique. Il entend à l’avenir répondre à tous ceux pour qui le socialisme est une espérance.
John Clerc, 6 octobre 2012